Irak: Beaucoup sont intéressés à déstabiliser la situation afin d’évincer les derniers chrétiens

21/03/2018 Louvain – L’archevêque syriaque-orthodoxe Mar Nicodemus Daoud Sharaf dirige l’Archéparchie de Mossoul, Kirkouk et l’Église orthodoxe syriaque. Au cours du présent entretien, mené par Ragheb Elias Karash pour la Fondation « Aide à l’Église en Détresse » (USA), il aborde le sort des chrétiens dans le nord de l’Irak.

Quelle est la situation actuelle de la communauté chrétienne sur les plaines de Ninive et à Mossoul ? Combien de chrétiens sont revenus dans la région à la suite de l’éviction de l’État Islamique ?

Pour commencer, le nombre de familles retournées à Mossoul ne dépasse pas 60 ! Et ces familles l’ont fait parce que leurs enfants devaient retourner à l’école et à l’université ; certains chefs de famille sont fonctionnaires et ont été forcés de revenir pour conserver leurs emplois. Cela ne veut pas dire que ces familles vivent dans une situation sûre et stable. Il n’y a aucune garantie pour leur sécurité et leur avenir là-bas.

Nous avons besoin de l’aide des autorités nationales et internationales afin que les activités criminelles qui ciblaient les chrétiens avant 2014 et l’invasion de l’État Islamique ne reprennent pas. Par exemple, cinq magasins appartenant à notre Église à Mossoul ont été saisis par un douanier pour son bénéfice personnel. Il refuse de nous les rendre, en disant que nous sommes des infidèles ! Nous avons plusieurs fois discuté à ce sujet avec les autorités du gouvernement central et régional, mais en vain. Cela confirme la présence continue de l’extrémisme religieux et le retard social.

Et les plaines de Ninive ?

La situation dans les plaines de Ninive est un peu meilleure qu’à Mossoul. Quelque 5.200 familles sont retournées à Qaraqosh, 1.169 à Bartella, 350 à Karamles, 456 à Baishika et Bahzani ; on estime que 973 familles sont retournées à Teleskuf. Tous ces chiffres sont des estimations, parce que la situation dans la région reste confuse et en évolution.

Quels sont les plus grands défis auxquels sont confrontés les chrétiens de la région ?

Il y a un afflux important de musulmans chiites dans la région, ce qui a un grand impact. Cela a à voir avec le rôle joué par les troupes et les milices chiites dans la libération de nos villes et leur restitution au gouvernement irakien. Cependant, cette bataille contre l’État Islamique était un devoir patriotique – cela ne signifie pas que ces combattants puissent désormais prendre le contrôle de notre territoire. Les chrétiens ont peur et n’ont pas très confiance en l’avenir, en partie à cause de cette cupidité évidente.

Les chiites Shabak s’en prennent à nous en disant que nous sommes leur ennemi ! Ils font pression sur nous pour que nous quittions notre région et nos villes. Ce serait une catastrophe humanitaire. À Bartella, les chiites Shabak sont en train de terminer un projet résidentiel de 25 acres. Qui vivra là-bas ? Cela signifie clairement qu’il y a un plan pour faire venir des gens de l’extérieur de la région. N’est-ce pas là une menace pour la sécurité de la région et pour les communautés chrétiennes ? Nous sommes très pessimistes à propos de ce projet et nous demandons à toutes les parties concernées d’intervenir, parce que cela menace de changer les données démographiques de la région.

La semaine dernière, un bureau du Parti islamique Dawa a ouvert ses portes à Bartella. Quelle est la signification de ce fait ?

Nous ne connaissons pas leurs véritables motivations, mais chaque citoyen chrétien se demande pourquoi un parti islamique s’installe dans une région exclusivement syro-chrétienne. Je pense que la réponse est claire ; cela a pour but de provoquer des troubles et de déstabiliser la situation en matière de sécurité, afin d’évincer les derniers chrétiens et de saisir leurs terres. C’est ce qui s’est passé, il y a des années, dans les provinces du sud de l’Irak et dans les villes de Tikrit, Bagdad et Hillah. C’est une évolution très dangereuse. Leur siège a été ouvert à Bartella, et une cérémonie d’ouverture s’est tenue à Qaraqosh, confirmant leur intention d’ouvrir une autre succursale là-bas !

S’il n’y avait pas de plan pour menacer la présence chrétienne sur les plaines de Ninive, qu’est-ce qui obligeait ce parti à ouvrir ses portes dans notre région, alors qu’il y a environ 15 villages musulmans Shabak à proximité ? Pourquoi le Bureau du Parti Dawa n’a-t-il pas été ouvert là-bas ? Cela ne fera qu’attirer d’autres partis islamiques à venir sur notre territoire, menaçant de nous détruire.

Que craignez-vous qu’il arrive ?

Si les partis islamiques maintiennent la pression pour provoquer un changement de population dans les régions et villes chrétiennes et qu’il y a un manque de recours juridiques et de protection des droits des chrétiens, beaucoup de membres de notre communauté voudront quitter le pays. L’Irak perdra tous ses chrétiens, et avec eux, notre engagement en faveur de la fraternité et de la coexistence pacifique – l’héritage ancien et authentique de notre foi.

Que faut-il faire ?

Nous en appelons à la protection juridique internationale et nationale de notre communauté et de nos villes — c’est l’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux. Nous demandons également que l’État irakien fournisse des garanties et des promesses concrètes pour limiter ces abus et violations des droits de l’Homme à l’encontre des chrétiens. En outre, nous demandons au gouvernement de Bagdad de maintenir la sécurité dans les zones non-chrétiennes des plaines de Ninive, afin que les communautés chrétiennes n’aient pas à assumer le fardeau de notre protection. Ce n’est que lorsque ces conditions et exigences seront remplies que les chrétiens pourront vivre dans la dignité, la paix et la sécurité.

Quel est votre message à l’Occident ?

Le premier message s’adresse aux chrétiens. Dites au monde que les chrétiens sont un modèle de coexistence pacifique, d’amour et de paix. Unissez vos efforts à ceux des chrétiens d’Irak. S’il vous plaît, écoutez-nous et exhortez vos gouvernements à nous soutenir pour que nous maintenions notre espérance vivante, et à nous donner confiance dans le fait que nous pourrons vivre en toute sécurité dans ce pays.

Je dis aux gouvernements occidentaux : aidez-nous pour le bien de l’humanité, non en vue d’un bénéfice matériel. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour nous aider et nous encourager à demeurer dans notre pays.

Comme œuvre de bienfaisance catholique internationale et fondation pontificale, l’Aide à l’Église en Détresse s’engage actuellement en faveur du retour des chrétiens dans leur ancienne patrie en Irak. À travers l’appel « Retour aux racines », l’Aide à l’Église en Détresse contribue intensément à un vaste programme de reconstruction des maisons et des églises de chrétiens déracinés originaires de la plaine de Ninive, non loin de Mossoul. La campagne récolte d’ailleurs un certain succès – déjà un tiers des chrétiens vivant en exil sont retournés dans leurs maisons dans la plaine de Ninive.

Par Ragheb Elias Karash

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