Père Salar Kajo : « Si les familles ne rentrent pas chez elles, le christianisme disparaîtra d’Irak »

Père Salar Kajo

16/03/2018 Louvain- Le père Salar Kajo est l’un des prêtres ayant accompagné les plus de 120 000 chrétiens qui ont dû fuir leurs foyers face à l’invasion de l’État islamique, et qui ont vécu ces trois dernières années comme déplacés dans leur propre pays, l’Irak. Il a été le premier à revenir lorsque les troupes de l’armée iraquienne ont réussi à repousser les djihadistes. Le Père Salar coordonne, par l’intermédiaire du Comité de reconstruction de Ninive, les travaux de reconstitution de neuf villages sur la plaine de Ninive.

« L’Église est la seule qui travaille avec les chrétiens d’Irak et les autres minorités pour qu’elles retrouvent leur vie. Si les familles ne rentrent pas chez elles, le Christianisme disparaîtra d’Irak », déclare-t-il avec insistance lors de sa visite au siège espagnol de la fondation pontificale « Aide à l’Église en Détresse».

Quelle est actuellement la situation dans les villages de la plaine de Ninive ?

Dans la partie nord de la plaine de Ninive, quelque 1 000 familles ont déjà pu rentrer chez elles. Tout cela a été possible grâce à l’Église qui nous a permis de revenir. Mais nous devons continuer de travailler pour que tout le monde rentre.

Comment vivent ceux qui ont pu rentrer chez eux ?

Maintenant, pour ces gens, le grand défi est souvent de trouver du travail. Ils pensaient ne pas pouvoir retourner chez eux, ils avaient perdu espoir, mais pas leur foi en Jésus. Un exemple de leur profonde foi est qu’ils ont pu pardonner à l’État Islamique et à leurs voisins qui ont collaboré avec les djihadistes. Ils croient fermement que seul le pardon sera en mesure de changer le cœur de ces gens qui ont commis tant de violence contre eux.

Vous avez été l’un des premiers à revenir dans ces localités. Qu’y avez-vous trouvé ?

Le jour même de la libération de villages tels que Telleskuf, près de Mossoul, je suis arrivé avec un groupe de jeunes gens. À Batnaya, la première chose que j’ai faite a été de visiter l’église, et j’ai vu que tout y était détruit. Des bibles et des lectionnaires récemment brûlés se trouvaient par terre. Avant de quitter le village, les miliciens de l’État Islamique se sont tout spécialement acharnés sur les églises. Ensuite, nous avons visité plusieurs maisons du voisinage. Nous n’avons pas pu en visiter plus, parce que le village était plein de mines. Nous avons prié un Notre Père en araméen et fait sonner les cloches : elles sonnaient pour la première fois depuis trois ans.

Qu’avez-vous pensé en voyant les églises et les maisons détruites ?

J’ai ressenti une grande douleur. Nous avions beaucoup de souvenirs de nos villages et de nos  églises. Nous avions travaillé dur, dans le passé, pour donner aux églises un aspect décent.  Mais je me disais : « Merci, Seigneur, parce que, si nous n’avons pas pu préserver l’église en tant que bâtiment, la foi du peuple s’est maintenue ».

La foi des chrétiens d’Irak est-elle maintenant plus forte que jamais ?

Je pense que oui. Nous voyons maintenant les fruits de cette foi, comme la charité avec ceux qui ont tout perdu, y compris les voisins d’autres religions, par exemple les musulmans d’autres villages. Et aussi, comme je l’ai déjà mentionné, le pardon des chrétiens aux gens qui étaient leurs voisins et qui ont aidé l’État Islamique à occuper leurs maisons, à voler et brûler les villages.

Comment est-il possible de pardonner après avoir tout perdu ? Est-ce un vrai pardon ?

Au nom de Jésus-Christ, tout est possible. Les gens ont beaucoup souffert, pendant les trois années qu’ils ont passées en tant que réfugiés au Kurdistan irakien, où ils ont connu de nombreuses difficultés. Mais ils ont une foi qui leur permet de tout surmonter, non sans difficulté. Cette foi fait aussi que le pardon soit vécu en vérité.

Avez-vous un exemple ?

La première chose que les familles aient faite en revenant dans leurs villages a été de rendre visite à leurs voisins musulmans. Pour leur demander comment ils allaient. Et ils leur ont dit qu’ils voulaient revenir pour vivre en paix et retrouver la coexistence pacifique. C’est quelque chose d’humainement impossible, mais dans une logique de foi, c’est possible.

Quels sont vos besoins ?

Il est urgent que chacun puisse revenir dans son village. Cela n’est possible que grâce à l’aide des organisations, parce que les gouvernements ne nous offrent pas d’aide. Après une année de reconstruction, le seul canal d’aide a été l’Église. Nous voulons revenir, retrouver notre dignité, travailler et vivre comme avant l’État islamique. C’est notre terre, c’est notre identité.

Personnellement, comment votre vie a-t-elle changé après tant de destructions ?

La crise de l’État islamique a fait grandir ma vocation sacerdotale. Le Seigneur nous emploie comme prêtres pour que nous soyons plus proches du peuple en ces temps difficiles, dans tous les domaines de la vie, et pas uniquement pour les questions pastorales. Cela a renforcé les relations entre l’Église et les fidèles. Il est important que les chrétiens restent en Irak. Ils ont la responsabilité morale de faire la paix et de  transformer les cœurs de leurs concitoyens. Ils se sentent comme des artisans de paix au Proche-Orient.

Par Josue Villalon

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